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====== Analyse politique ====== //Le CPE, la loi sur l'égalité des chances et le CNE : contexte et enjeux politiques// Quelques arguments proposés par la commission "analyse" de l'AG de la Sorbonne pour convaincre ceux qui ne le sont pas encore de rejoindre la mobilisation "La loi sur l'égalité des chances est une loi adoptée dans les règles de la république : on n'a pas le droit de la contester" ; "vous, les bloqueurs, vous n'êtes pas démocrates", etc. ===== le CPE est une mesure non négociée ===== Dominique de Villepin n'a pas négocié la loi sur l'égalité des chances avec les organisations syndicales. C'est seulement dimanche soir, lors de son intervention télévisée, qu'il a invité les syndicats à venir discuter du CPE. D'ailleurs, pour l'instant, les plus gros syndicats (CGT, FO, CFDT) ont refusé, car ils considèrent qu'il n'y a rien à négocier : il faut retirer le CPE, un point c'est tout. Quoi qu'il en soit, Villepin ne les a pas consultés pour l'élaboration du projet avant le début de la mobilisation anti-CPE. ===== La loi a été adoptée grâce au recours au 49-3 ===== Cette procédure permet au gouvernement de faire adopter un texte immédiatement, sans vote. Si un groupe de parlementaire refuse ce texte, il ne peut donc pas voter contre ; tout ce qu'il peut faire, c'est une "motion de censure" qui, si elle est adoptée par une majorité absolue des députés, contraint le Premier ministre à démissionner. C'est donc une procédure autoritaire, qui a été utilisée pour la loi sur l'égalité non pas parce que le texte risquait de ne pas passer (le gouvernement a une large majorité), mais pour écourter la discussion : "face aux inégalités, face aux discriminations, et face au chômage des jeunes, notre pays s’impatiente, il attend des réponses et veut des décisions " (De Villepin). Certes, mais le chômage des jeunes n'est pas un phénomène nouveau ; cela dure depuis 15 ou 20 ans et on n'était peut-être pas à une semaine près. En outre, le gouvernement est un habitué des procédures un peu expéditives : le CNE a été instauré cet été par ordonnance, c'est-à-dire sans aucune consultation du parlement. NB : lors de son intervention de dimanche soir, Villepin a contesté avoir utilisé le 49.3 pour le CPE. Il est vrai qu'une partie du texte de loi a été votée par les députés de droite ; c'est au milieu du débat sur la loi que le Premier ministre a brandi son 49-3, pour interrompre la discussion qui lui semblait trop longue. Il n'en reste pas moins vrai que la plus grande partie de la loi sur l'égalité des chances, dont nous demandons le retrait, a été adoptée par le recours au 49-3, un article de la constitution qui donne un grand pouvoir au seul gouvernement au détriment du parlement. ===== Une loi, cela s'abroge ===== C'est ce qui s'est passé en 1994 : le CIP de Balladur avait déjà été voté quand il a été retiré du fait de la mobilisation de la jeunesse. On peut toujours défaire une loi. De Villepin cherche à nous intimider en nous disant que les jeux sont faits, mais c'est faux. Si la mobilisation s'amplifie, il n'aura pas d'autre choix que de reculer. "Le CPE a été élaboré pour lutter contre le chômage des jeunes ; il faut bien faire quelque chose !" C'est faux !!! Le CPE est un maillon d'une chaîne de réformes qui remettent en cause le CDI pour tous les salariés, pas seulement les jeunes.Petit rappel chronologique : * cet été, adoption du CNE : un CDI avec période d'essai de 2 ans, comme le CPE, pour les entreprises de moins de 20 salariés. A l'époque, la mesure était justifiée par la nécessité de répondre aux problèmes spécifiques des petites entreprises. * aujourd'hui, adoption du CPE, sous prétexte de chômage des jeunes. * demain, le gouvernement et le courant qui le soutient affichent clairement leurs intentions : un "contrat unique" du genre du CPE, pour tous les salariés. Le CPE est un test : si le gouvernement parvient à l'imposer à la jeunesse, il cherchera ensuite à précariser encore un peu plus l'ensemble des salariés. ===== "Le CPE est une idée nouvelle, il faut essayer pour voir si cela marche" ===== C'est encore faux ! L'idée centrale du CPE, c'est que la possibilité de licencier facilement pendant deux ans poussera les entreprises à embaucher davantage. On nous dit que les salariés seront plus précaires, mais qu'ils auront plus de chances de trouver un emploi. Cette idée n'est absolument pas nouvelle : cela fait vingt ans que les gouvernements successifs créent des sous-contrats prétendument plus souples, or le chômage est loin d'avoir diminué. La précarité existe déjà dans le monde du travail : interim, CDD, stages, etc. Tous ces statuts précaires ne s'ajoutent pas aux CDI : ils les remplacent. Par exemple, de nombreuses entreprises utilisent des intérimaires sur des postes permanents. La souplesse permet aux entreprises non pas d'embaucher davantage, mais de rendre les salariés plus vulnérables, donc de les faire travailler davantage sans qu'ils aient les moyens de résister (heures supplémentaires, productivité, etc.). Il n'y a rien de nouveau dans le CPE, mais seulement une aggravation des difficultés dues à la précarité déjà existante : même dans une mission d'interim ou un CDD, on sait pour combien de temps on est embauché (et on touche des primes de précarité, ce qui ne sera plus le cas dans le CPE). Le CPE est encore pire que ce qui existe déjà, puisqu'il n'y a aucune durée garantie. Mais il ne diminuera pas plus le chômage que ne l'a fait la généralisation de l'interim et des CDI qui remonte aux années 1980. L'expérience du CNE, dont nous demandons également le retrait, montre que cela ne fonctionne pas : dans plus de 70 % des cas, les patrons déclarent qu'ils auraient embauché de toute façon. L'effet du CNE sur la création d'emploi est marginal. ===== "La France doit adapter son modèle social pour résister à la concurrence internationale" ===== De Villepin prétend que le code du travail doit être adapté pour que la France fasse le poids contre les autres pays européens et contre le reste du monde. Nous pensons que c'est exactement l'inverse qui doit se passer : ce n'est pas le salarié qu'il faut adapter, il faut au contraire défendre les droits des salariés dans tous les pays. L'Union Européenne doit servir à généraliser les meilleures conditions de travail et de vie, et non les pires. Les politiques nationales étroites et égoïstes n'ont aucun sens aujourd'hui : le gouvernement ferait mieux de défendre un modèle social plus juste dans l'Union Européenne plutôt que de prétendre que nous sommes en concurrence avec les salariés des autres pays européens, comme il l'a fait dimanche soir sur TF1. C'est la même chose vis-à-vis du reste du monde : l'Union Européenne défend ses exportations et sa monnaie sur la scène internationale, pourquoi ne pourrait-elle pas défendre aussi les droits qui existent aujourd'hui pour les salariés ? Si les opposants au CPE réussissent à montrer que les salariés français veulent conserver un minimum de droits sociaux, cela encouragera ceux qui luttent contre la dégradation des conditions de vie dans toute l'Europe, voire ailleurs. ===== "Le CPE ne remet pas en cause le code du travail" ===== Si, puisque le droit du licenciement ne s'applique pas pendant les deux premières années. La possibilité de licencier sans motif est contraire au code du travail actuel. C'est d'ailleurs pour cela que certains partis ont déposé un recours auprès du Conseil Constitutionnel. Quelle que soit la réponse de ce Conseil, il est honteux de prétendre que le CPE ne change rien au code du travail : jusqu'à présent, un patron devait justifier un licenciement par un motif sérieux. Dans le CPE, il n'a plus cette obligation pendant les deux premières années. ===== "Les CPE/CNE ne concernent pas les jeunes diplômés, seulement les jeunes sans qualification" ===== D'abord, le CNE concerne les salariés de tous les âges dans les entreprises de moins de 20 salariés. Ensuite, le CPE est applicable à tous les types d'emplois, qualifiés ou non ; on ne voit pas pourquoi un employeur se priverait d'utiliser un contrat qui lui permet d'être exonéré de charges sociales pendant trois ans, même pour un jeune diplômé ! Enfin, la façon dont De Villepin cherche à diviser la jeunesse entre les diplômés et les autres est scandaleuse : des sous-contrats pour les jeunes non qualifiés ne sont pas plus acceptables que des sous-contrats pour les jeunes diplômés. Ce n'est pas parce qu'on n'a pas de diplôme que l'on doit pouvoir être licencié sans motif ! Quelques commentaires sur les dernières déclarations du Premier ministre. De Villepin s'est exprimé dimanche soir à la télévision et mardi à l'Assemblée. Il a fait semblant d'annoncer quelques modifications, qui sont totalement creuses : -> la négociation de la période d'essai branche par branche : les entreprises qui le souhaitent pourraient réduire la période d'essai à un an. Mais les négociations locales sont beaucoup plus difficiles pour les salariés que des garanties nationales. Si chaque entreprise, voire chaque salarié doit négocier ses conditions d'embauche, l'employeur est en position de force. Ce qu'il faut, c'est un retrait total du CPE et non des aménagements locaux sur lesquels nous n'aurons aucun contrôle. -> une évaluation du CPE tous les 6 mois pour voir si cela fonctionne : d'abord, nous savons par avance que cela ne fonctionnera pas. Ensuite, il sera beaucoup plus difficile de supprimer le CPE quand il sera en place : c'est maintenant, avant que les premiers contrats soient signés, qu'il faut revenir sur la mesure, pas dans 6 mois, c'est-à-dire quand la mobilisation sera retombée. -> un complément de rémunération en cas de licenciement pour les salariés qui feraient une formation : tous ceux qui sont passés par l'ANPE savent que ce ne sont pas les formations de quelques mois qui donnent du travail. Les trois millions de chômeurs de ce pays sont au chômage parce que les entreprises ne créent pas de nouveaux emplois. Beaucoup de formations sont déjà proposées aux chômeurs depuis longtemps, et cela n'a pas fait baisser le chômage. En plus, si le gouvernement voulait que les jeunes soient mieux formés, il cesserait de casser l'Education nationale : les suppressions de postes aux concours d'enseignants cette année encore montrent qu'il se moque complètement de l'éducation des jeunes. -> un tuteur ou référent pour aider les jeunes à trouver du travail : encore une fois, aucune mesure gadget ne peut remplacer le problème du manque d'emplois disponibles. S'il y a des millions de chômeurs, c'est parce qu'il n'y a pas de boulot. Les conseillers ANPE, aujourd'hui, sont eux aussi censés aider les chômeurs, mais cela n'a jamais fait reculer le chômage. ====== Analyse sociale ====== Nous tenterons ici de démontrer en quoi le CPE est un contrat précaire qui aura de lourdes conséquences sur la condition de vie du salarié et de son insertion dans la société. ===== Causes de la précarisation du salarié : ===== Période d’essai : 2 ans pendant lesquels un salarié peut être licencié sans motifs ; le patron n’a plus besoin d’invoquer de « causes réelles et sérieuses ». C’est désormais au salarié de prouver que son licenciement est abusif, et non plus au patron de prouver qu’il est justifié. Donc plus de motifs de licenciement. (seul cas éventuel où le salarié peut gagner en cas de recours aux Prud’hommes = prouver un cas de discrimination) II Effets de la précarisation : ===== Sur le plan individuel : ===== * Absence pour le salarié de toute revendication possible vu son statut précaire * Difficultés à obtenir un logement ou/et un prêt ( les banques et l’Etat se sont engagé à garantir l’octroi de prêt aux salariés en CPE, mais rien ne peut concrètement les obliger à tenir parole, ce ne sont que des promsses orales…) * Au sein de l’entreprise : isolement des salariés, tactique du « chacun pour soi »… pour espérer obtenir la stabilisation de son emploi, le salarié doit « lécher les bottes » de son patron, et prouver qu’il est le meilleur parmi les autres CPE et précaires (intérim…). ===== Sur le plan collectif : ===== * mise en concurrence des chercheurs d’emploi, développement d’une concurrence entre les divers types de contrats * propagation de l’angoisse dans la société liée à l’expansion de la précarisation : incertitude totale sur l’avenir, impossibilité de se projeter à long terme (fonder un foyer, faire des enfants, déménager), étant donné que du jour au lendemain on peut se retrouver au chômage. Au lieu d’une société peuplée d’individualistes stressés et angoissés, obligés de vivre (voir de survivre) au jour le jour, nous nous mobilisons aujourd’hui pour défendre une société à venir joyeuse et solidaire, où l’on pourra envisager le futur sereinement. ====== Analyse économique ====== Dans cette première partie nous attacherons à démontrer que le CPE ne sera pas une mesure apte à la création d’emploi ===== Effet d’aubaine et effet de seuil ===== En mettant en place un nouvel outil de politique de l’emploi, il est un effet que l’on ne peut pas négliger : l’effet d’aubaine. Le gouvernement n’ayant imposé aucune contrepartie à l’emploi d’un jeune en CPE (Contrat Première Embauche) de la part des entreprises il faut s’attendre à ce que ce contrat soit utilisé par des employeurs qui auraient de toute façon embauché. Cet effet a une implication très grave en terme de précarité : des emplois qui auraient été créés ou renouvelés en CDI seront créés en CPE. Par ce biais, des personnes qui auraient pu se voir offrir un emploi stable se voient offrir un emploi instable. Les premières enquêtes menées sur le CNE (Contrat Nouvelle Embauche) par des universitaires mandatés par l’Etat démontrent clairement que l’effet d’aubaine est très important et doit impérativement être pris en compte. Il ressort de cette enquête que 71% des emplois que l’on impute à la mise en place du CNE auraient été créés de toute façon (enquête Fiducial, cf. encadré). Le supposé succès du CNE repose donc sur une substitution de CNE à des CDI et repose par là même sur une précarisation du marché du travail. Il est à noter également que parmi les 29% restants, 9% des emplois sont en réalité des remplacements. Les remplacements n’étant pas des contrats stables par définition, on peut légitimement s’interroger sur la pérennité de tels emplois. Seuls 20% des CNE créés peuvent donc être considérés comme de véritables créations d’emploi. L’effet d’aubaine a donc une importance capitale dans le cas du CNE : pour 1 emploi réellement créé 4 autres emplois ont été précarisés. C’est d’autant plus préoccupant que l’emploi créé est lui-même un emploi précaire. On soulignera également que le manque de travaux statistiques sur longue période est un frein à une véritable analyse des résultats du CNE et témoigne de la précipitation du gouvernement dans la mise en place du CPE. Il était en effet convenu que le CNE devrait faire l’objet de bilans avant toute autre modification majeure du code du travail. Les similarités entre le CNE et le CPE font prévoir le même genre d’effets d’aubaine pour les deux contrats, autrement dit la même inefficacité, à ceci près que le CPE est ouvert aux petites et aux grandes entreprises. Ces dernières, pour qui le risque qu’induit l’embauche d’un nouvel employé est beaucoup moins important et qui étaient donc jusqu’à maintenant plus enclines à prendre des CDI, pourront profiter pleinement du CPE alors qu’elles n’en avaient aucunement besoin. Le CPE leur donnera même des moyens de pression supplémentaires à l’encontre des salariés. ===== Le CPE ou la concurrence entre les générations : ===== La mise en place du CPE devrait également créer un seuil de rentabilité des employés aux yeux des entreprises. Il sera, en effet, beaucoup plus rentable pour un employeur d’embaucher un jeune de moins de 26 ans que n’importe quel autre travailleur. On peut d’ores et déjà prévoir que les travailleurs passant le seuil de 26 ans, qui auront un niveau de qualification et une expérience relativement similaire à celles de leurs camarades de moins de 26 ans, seront nettement moins rentables aux yeux des employeurs puisqu’ils ne pourront être employés en CPE. Il auront beaucoup plus de difficultés à trouver un emploi et donc à se stabiliser. La création du CPE ne fait que repousser le problème de la précarité de la vie des jeunes français au-delà du seuil de 26 ans. M. de Villepin déplace ici un problème sans le régler véritablement. Il découle de cet « effet seuil » que le chômage des jeunes, s’il se réduit, se réduira vraisemblablement aux dépends de l’emploi des plus âgés. Il ne devrait donc pas y avoir non plus de réduction significative du chômage mais plutôt un déplacement du chômage des jeunes vers les travailleurs plus âgés. C’est aggraver la situation de l’un pour améliorer celle de l’autre. D’autant plus que le niveau de chômage actuel ne permet absolument pas de justifier l’aggravation de la situation d’aucune génération de travailleur français, bien au contraire. Le CPE va instaurer une concurrence intergénérationnelle en termes de rentabilité de l’embauche. Et ce avec tous les risques de tensions sociales que cela entraîne. II Structure du marché du travail en France - Le CPE est une adaptation du marché du travail français au modèle économique anglo-saxon, alors que la structure économique française n’est pas compatible avec de telles mesures : Le CPE est un choix d’orientation vers le modèle économique anglo-saxon. Il s’agit d’un choix de société, sous-tendu par un choix de valeurs. Mais même si l’on approuve cette orientation, l’application telle quelle du CPE ne peut résorber efficacement le chômage. Le CPE est en effet une adaptation de la flexibilité présente sur le marché du travail anglo-saxon, visant à supprimer la rigidité du système français qui nuirait à l’embauche. Or l’association de taux de chômage bas (6% aux Etats-Unis en 2003, contre 9,4% en France -chiffres OCDE) à la réussite d’une politique de flexibilité est simpliste. Si le marché de l’emploi américain possède un tel dynamisme, c’est parce qu’il existe une création massive d’emplois, notamment dans les secteurs des nouvelles activités et des nouvelles technologies (ce que l’on appelle la « nouvelle économie »), ce qui n’est pas le cas du marché de l’emploi français. Du fait d’une telle structure, le marché américain peut davantage se permettre d’être flexible. En France, les mesures de flexibilité déjà entreprises n’ont pas relancé le marché du travail, la précarisation de l’emploi n’a pas été suivie d’une réduction du taux de chômage significative. Il n’y a pas de cohérence à appliquer le modèle économique américain sur la structure de l’emploi français, notamment du fait de l’existence d’une part croissante de chômeurs de longue durée (42,9% en France en 2003, contre 11,8% aux Etats-Unis -chiffres OCDE) qui montre que le système français n’est pas apte à réintégrer rapidement les chômeurs dans le monde du travail. Les solutions économiques n’ont de sens et ne réussissent efficacement que dans un contexte social, économique et politique précis et cohérant. - Que ce soit sur le marché du travail américain ou français, la flexibilité implique en partie une précarisation de l’emploi : En 2003 les emplois à durée limitée (intérim et CDD) constituent 12,5% de l’emploi(ce qui est peu important), mais ils ont été multipliés par 4 depuis 20 ans(source INSEE). On peut donc déjà analyser les effets du développement de la flexibilité sur le marché du travail français. Si pour les jeunes détenteurs de diplômes cette précarisation constitue une sorte d’« extension de la période d’essai »(que l’on peut contester ou non), en ce qui concerne les salariés non diplômés,cette précarité devient permanente : le chômage est récurrent et il n’y a pas de vraie insertion. Cette segmentation du marché du travail pose un réel problème car selon les théories néoclassiques qui démontrent l’efficacité de le flexibilité sur la baisse du chômage, ce modèle n’est valide que pour un marché du travail uni. Cela conduit alors à la création d’un marché du travail à deux vitesses, comme on le constate sur le marché du travail américain. D’un coté l’on trouve un marché où la stabilité de l’emploi est dominante, avec des salariés qualifiés et bien rémunérés qui ont des perspectives de carrière(le marché interne), tandis que de l’autre se trouve un marché du travail constitué d’emplois peu qualifiés et mal rémunérés, sans perspectives(marché externe) : la main-d’oeuvre y est ajustée mécaniquement (en fonction de la conjoncture économique, l’entreprise embauche ou licencie) puisqu’il n’y a pas d’intérêt pour l’employeur à fidéliser ce type de salariés. Le CPE ne constitue pas un mode valide d’insertion sur le marché du travail pour les jeunes sans ou avec peu de qualification. Il ne leur permet pas d’avoir une vie professionnelle stable. III Une dynamique à long terme inefficace en création d’emploi : * Sur une longue période, l’idéologie néolibérale affirme qu’augmenter la flexibilité externe du travail permettra de faire diminuer le chômage car l’employeur n’hésitera pas à embaucher même si la conjoncture est incertaine pour les entreprises. Cet argument repris largement par les tenants du CPE est simpliste : cet effet positif existe bien mais il doit faire face un effet inverse. C’est la croissance qui fait les emplois, si les travailleurs jetables sont plus facilement employés en période de croissance, il facilite aussi les licenciements en période molle comme celle d’aujourd’hui. * M. Pucci et J. Valentin¹ (maître de conférences à Paris 1) ont construit une maquette de simulation des décisions d’embauche et de licenciement d’entreprises sur la période économique qui dure depuis les chocs pétroliers jusqu’à aujourd’hui, il en ressort que tout assouplissement des conditions de licenciement aurais été défavorable à l’emploi sur l’ensemble de cette période. * Un autre argument en faveur du CPE est la corrélation entre faible taux de chômage et faible réglementation du travail aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Il n’en est pas de même aux Pays-Bas ou en Norvège où le taux de chômage est faible mais la réglementation du travail forte. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont des taux de chômage bas grâce à leur politique macroéconomique expansive en cas de retournement de conjoncture ! * En outre, les emplois précaires que tentent d’instaurer le gouvernement à travers le CPE et le CNE impliquent nécessairement une rémunération précaire, qui va inévitablement engendrer une baisse de la consommation. Or la consommation est la composante la plus importante de la demande de bien adressé aux entreprises, et c’est justement en fonction de cette demande que les entreprises investissent et embauchent. En effet, l’entrepreneur n’embauchera pas un employé supplémentaire s’il sait qu’à long terme sa production ne sera pas vendue en des proportions suffisantes. Cette stagnation de la croissance économique due à une insuffisance de la demande va par conséquent entraîner un ralentissement dans la création d’emplois. * L’assouplissement des conditions de licenciement va rendre l’emploi et la consommation plus sensible à la conjoncture. Les employés sous CNE ou CPE serviront de variable d’ajustement pour le moindre ralentissement de la conjoncture, mais ces employés licenciés limiteront leur consommation, aggravant ainsi la situation économique. Ainsi une diminution de faible ampleur et transitoire de l’activité risque de se transformer en atonie générale et durable. * Des relations de long terme entre les employeurs et les employés favorisent le développement économique, il est dans l’intérêt des entreprises qui ont pour but le développement à long terme (qui ne sont pas soumises aux lois courtermistes de la spéculation financière) de s’engager sur la durée avec les travailleurs qui améliorent dans le temps productivité. Le travail ne peut être considéré comme une marchandise utilisée par les entreprises comme elles consomment de l’électricité. Derrière le mot travail se cache des hommes qui apprennent et s’organisent entre eux, et qui ont besoin de temps pour améliorer leur efficacité. * Finalement que se cache-t-il derrière le CPE ? Certainement pas la réduction du chômage et la recherche du progrès économique et social. Le CPE est un cadeau offert au patronat pour museler la jeunesse, ainsi corvéable et jetable selon la loi du marché et des patrons. Elle est une insulte aux jeunes des banlieues qui n’ont d’autre avenir que le chômage et la précarité. Qui osera aller se syndiquer sous CPE, ou même refuser des heures supplémentaires ? « A quoi sert donc de voir le PIB doubler tous les 20 ans s’il n’en résulte qu’une régression sociale ? »* Dans cette seconde partie, nous attacherons à faire quelques propositions alternatives pour une politique de l’emploi face au chômage. Préambule : Il convient de rappeler ici 2 choses : - Le gouvernement n’a jamais montrer une quelconque volonté de discuter d’alternatives en matière de politique de l’emploi. Par conséquent, nous pourrions très bien nous cantonner dans une attitude de simple rejet du CPE puisqu’il ne nous convient pas. Néanmoins, afin d’enrichir le débat, nous avons chercher à creuser quelques pistes de politiques alternatives. - Notre mouvement étant uni autour de la contestation du projet de loi sur l’égalité des chances et non autour de propositions, celles qui sont développées ici n’engage en rien le mouvement dans son ensemble mais uniquement les différents auteurs qui y ont participé. ===== Propositions en matière d’éducation ===== Il est impossible de traiter de l’emploi des jeunes sans évoquer l’aspect éducatif. En effet, l’éducation joue un rôle clé dans le chômage et reste déterminante en terme d’insertion professionnel. Si le diplôme ne constitue plus aujourd’hui le même bouclier face au chômage qu’autrefois, il reste néanmoins un atout indispensable pour la vie active. Dans cette perspective, les mesures visant à fournir une éducation de meilleures qualités et accessible à tous font partie intégrante de la lutte contre le chômage. On peut ainsi lister une série de mesures allant dans ce but : * Augmentation des crédits dans l’enseignement (notamment supérieur) et application d’une réelle égalité de moyens. Le fossé qui s’est créé entre des classes préparatoires et l’université en terme de moyen devient plus que criant. L’abandon des universités constitue un manquement grave puisque c’est celle ci qui est parvenue (quasiment seule) à la massification du nombre de diplômé. * Mise en place d’un système d’aide sociale performant pour garantir l’accès à l’enseignement supérieur à tous sans contrainte financière et sans obligation de salariat. Le salariat étudiant constitue une des principales raisons d’échec des étudiants à l’université et contraint fortement les choix d’orientation. * Apport d’éléments de professionnalisation dans les cursus pour une insertion professionnelle durable. Cela signifie que ce qui constitue la professionnalisation doit avoir pour objectif d’apporter aux étudiants un savoir-faire qu’il conservera à long terme et utile quelque soit l’entreprise de son secteur d’activité (ce qui n’est malheureusement pas l’approche souvent retenue…) ===== Propositions en matière de politique sur le marché du travail ===== Nous voulons maintenant montrer que d’autres voies que le CPE et la précarisation de l’emploi sont possibles. Certaines existent déjà. Le gouvernement est fataliste, ne le soyons pas, d’autres solutions au chômage sont envisageables. Le problème de l’emploi des jeunes en France ne repose pas que sur des raisons économiques liées à la rentabilité, mais également sur une représentation sociale très forte de l’âge comme facteur discriminant. En Allemagne, le taux d’emploi des jeunes est de 42,4% ; en France il est seulement de 24,1% (2003, source de l’OCDE). En Allemagne, on considère qu’il faut intégrer les jeunes au marché du travail et qu’il est normal qu’ils poursuivent leur formation au sein de l’entreprise. Avant de créer un contrat précaire d’emploi pour les jeunes, il faudrait prendre conscience de fait que leur intégration au marché du travail est avant tout liée à une représentation sociale discriminante. Le modèle danois allie quant à lui flexibilité et sécurité de l’emploi. Un système de rotation a été mis en place dans lequel chaque salarié peut prendre un congé allant jusqu’à 18 mois. Si l’entreprise s’engage à le réembaucher, l’État lui verse une aide pour qu’elle embauche pendant ce temps un chômeur, qui est rémunéré dans des conditions normales, pour le remplacer. Le chômeur peut ainsi réacquérir une expérience professionnelle et est très souvent embauché au retour du salarié qu’il remplace (cf. Gazier, 2003, Tous « sublimes ». Vers un nouveau plein-emploi). Enfin, à plus long terme et à plus grande échelle, plutôt que de continuer à prétexter la concurrence de nos partenaires européens pour adapter « par le bas » notre législation sociale à une hypothétique norme communautaire, pourquoi ne pas compléter l’intégration monétaire et commerciale par une harmonisation sociale au niveau européen ? L’Europe est construite pour et par les Européens. Elle ne doit pas être la méchante bureaucratie derrière laquelle on se cache pour justifier des mesures sociales réactionnaires mais au contraire un moteur du progrès social. C’est dans le cadre européen que nous devons faire évoluer le code du travail. ===== Propositions en matière de politique économique globale ===== Les modèles économiques anglo-saxons sont souvent cités en exemple comme étant ceux qui ont réussi à réduire fortement le chômage. Les économistes libéraux en tire souvent une conclusion rapide : ce serait l’application poussée du libéralisme économique sur le marché du travail qui permettrais ce faible taux de chômage. Cette approche, fortement ancré dans les esprits est en réalité tout à fait contestable. En effet, dans l’empire du libéralisme, il semble bien que ce soit l’Etat qui régule toujours l’activité économique et qui la rythme ! En effet, les politiques macroéconomiques dans les pays anglo-saxons sont beaucoup plus offensives que dans la zone Euro. Pour ne prendre en exemple que les USA, depuis la crise de 2002, le déficit public américain a constamment été supérieur à celui observé en France. De même l’action de la banque centrale américaine (la Fed) a été bien plus agressive que la très prudente BCE. Ce manque de réactivité est dommageable pour l’activité économique en France et en Europe. Pour contrer nous pourrions : * Supprimer l’indépendance de la Banque Centrale Européenne afin que celle çi soit sous le contrôle du pouvoir démocratique et qu’elle se fixe des objectifs de croissance économique (et non exclusivement de lutte contre l’inflation). * Retirer les contraintes en matière de déficit publique de manière à ce que le budget de l’Etat puisse être utilisé pour stimuler l’économie. * Relance par une politique de « grands travaux » ou d’investissements massifs (notamment en matière de recherche publique). Ce type de politique aurait des résultants d’autant plus conséquent qu’elles s’inséreraient dans une action européenne. * Viser une meilleure répartition de la valeur ajouté au profit des salaires (en France, le taux de profit est supérieur à celui des USA ou de la GB…) Le problème de l’emploi des jeunes en France ne repose pas que sur des raisons économiques liées à la rentabilité, mais également sur une représentation sociale très forte de l’âge comme facteur discriminant. En Allemagne, le taux d’emploi des jeunes est de 42,4% ; en France il est seulement de 24,1% (2003, source de l’OCDE). En Allemagne, on considère qu’il faut intégrer les jeunes au marché du travail et qu’il est normal qu’ils poursuivent leur formation au sein de l’entreprise. Avant de créer un contrat précaire d’emploi pour les jeunes, il faudrait prendre conscience de fait que leur intégration au marché du travail est avant tout liée à une représentation sociale discriminante.

lec/argumentaire_sorbonne.txt · Dernière modification: 2006/04/08 20:35 (modification externe)